LA MUSIQUE D'ORGUE
de
Claude DUBOSCQ


"Nous cherchons un art d'Eglise, liturgique", professait Claude Duboscq. Son répertoire, pourtant très limité, témoigne d'un premier essai, en ce sens. Son "Année Liturgique d'Orgue" principalement, nous plonge dans un climat quasi-monastique éloigné de tout sensualisme.

Disparu prématurément, il ne laissa que trois Dimanches déjà composés : 3e Dimanche de 1'Avent - Dimanche de l'Epiphanie -Dimanche de la Sexagésime.

Illustrant chaque partie de la Messe, ses "préludes" et "interludes" sont proposés aux organistes imprégnés de l'esprit du grégorien, et rompus à sa technique particulière. Donc les plus aptes à les rendre praticables et appréciables.
L'écriture musicale, assez inattendue, peut dérouter de prime abord ... Claude Duboscq ayant adopté le rythme libre, avait élaboré son propre graphisme.

Dans ses oeuvres de jeunesse (ainsi les "Deux Oraisons"), il avait d'abord supprimé les barres de mesure. Puis, s'étant consacré, dès 1920, à la musique religieuse, il remit progressivement des barres dans ses partitions. Mais c'était, non pas des barres de mesure, mais des barres de rythme, soulignant l'alternance du binaire et du ternaire, à la manière de l'école de Solesmes.
L'Année Liturgique recourait ainsi à une sorte de Contrepoint grégorien. Non par des "pastiches" ou développement d'anciennes pièces grégoriennes ... mais par de vraies créations nouvelles en "néo-grégorien" enrichi par l'Harmonie moderne.
Leur lecture peut sembler difficile au clavier ; surtout à cause de l'apport inédit de la "polyrythmie" ... Heureusement, la tâche est doublement facilitée. D'abord Claude Duboscq pour ses musiques religieuses, élimina toute recherche de virtuosité, s'établissant ainsi par idéal dans un climat de paix évangélique. Il réservait sa propre virtuosité à des concerts, nombreux et brillants. Ensuite, il élabora une sorte de Contrepoint réduit à trois parties seulement. Pourquoi cette réduction ? Le compositeur l'explique lui-même dans une célèbre causerie sur le "Rythme libre" (1) :

Citons : "... Le contrepoint y est à trois voix ou sur trois plans, pour des raisons d'équilibre plus profondes ; mais aussi parce qu'à partir du moment où i1 y y a plus de 3 voix, l'esprit ne peut plus discerner clairement chaque voix (faîtes donc l'expérience en écoutant un motet palestri-nien). Alors, la musique de polyphonique devient harmonique ; de spirituelle devient sensuelle".


(1) Titre : "La musique sacrée de la Pauvreté Claire" (1926)

Plus technique, il ajoute : "Tandis que dans notre musique de la Pauvreté Claire, les parties, réduites à leur minimum, ont chacune un caractère nettement intelligible, et sont proportionnées entre elles :
- l'une prédominant (la mélodie principale) ;
- l'autre la renforçant,
- et la troisième soutenant le tout".

On remarque ici le souci chez Claude Duboscq de se mettre à la portée des auditeurs les plus simples. Et, à travers le choix du chiffre 3, peut-être est-il permis de déceler une référence au Mystère de la Trinité, qui fut son habituelle dévotion : un seul Dieu en trois personnes. On retrouve d'ailleurs cette orientation d'âme dans d'autres de ses oeuvres tout aussi "trinitaires".
En résumé, : Claude Duboscq nous livre ici des mélodies analogues aux neumes du grégorien, se déroulant sur un socle rythmique indépendant et apparemment contrariant.

Quant à l'interprétation de ces pièces d'orgue, voici les indications précises que l'auteur écrivit lui-même en rouge sur la première page du "Troisième Dimanche de l'Avent". On les reproduit ici car son écriture, à cet endroit, est fine et très pâle, donc difficile à lire.

Indications de Claude Duboscq :


N.B. : "Pour la registration de ces pièces, l'auteur s'est basé sur un orgue moyen - à 3 claviers et pédale indépendante - qui, avec ses 28 jeux, se rapproche de celui de Guilmant à Meudon. Les timbres indiqués correspondant pleinement au caractère de cette musique, on voudra bien en tenir compte le plus scrupuleusement possible. A coup sûr des changements s'imposent, car il n'y a pas deux orgues pareilles. Chaque organiste devra donc "adapter" comme il l'entend. Il ajoutera, retranchera, remplacera, d'après les particularités de son instrument et de la nef à emplir. Mais il saura les proportions et les couleurs auxquelles tendre s'il ne peut les calquer. Surtout qu'il recherche la puissance par la qualité des jeux, non par la quantité.

Les signes suivants veulent dire :



Si l'on n'a pas de boîte d'expression au positif, on obtiendra l'équilibre des timbres en les modifiant passagèrement par adjonctions ou suppressions. D'ailleurs, le moins de boîte d'expression sera le mieux.

Pour plus d'exactitude, les mouvements sont marqués au métronome. On les observera fidèlement. Mais on pourra, si l'office l'exige, presser un peu - ou bien encore s'il le permet,- s'attarder légèrement.

Dans le courant d'un même morceau, l'on passera progressivement d'un mouvement à un autre.
Les accents importants, ou exceptionnels, sont toujours soulignés. Mais ils n'excluent pas ceux dont tout organiste est supposé animer son phrasé avec bon sens et goût.

Il va sans dire qu'il y a avantage à jouer cette musique selon un rythme libre plutôt qu'en "mesure" ; ainsi qu'à en traiter les moindres notes avec sollicitude plutôt qu'indifférence.


"Ubi cari tas et amor, Deux ibi est".


Claude DUBOSCQ